Les définitions du mot « voyage »
Attention, on parle ici du voyage au sens pur du terme : se décadrer, affronter sa propre solitude dans un environnement inconnu, répondre à un appel viscéral et repenser sa vision du monde. Il n’est pas question de tourisme ou de voyage de consommation avec des cases à cocher, mais du voyage qu’on entreprend pour grandir, et dont on revient transformé. Force est de constater que dans l’imaginaire collectif, cette dimension du voyage n’est pas un terrain féminin. Où sont les femmes dans le domaine de l’aventure ? Nulle part — car dans notre société, le rôle d’une femme est d’attendre et d’accueillir.
« Le dictionnaire lui-même nous apprend qu’un aventurier est quelqu’un qui « aime et rechercher l’aventure ». Alors qu’une aventurière est « une femme qui a des aventures galantes, souvent scandaleuses », ou une intrigante qui « recherche en mariage, avec une intention intéressée, une personne d’un rang et d’une fortune plus élevés ». Voilà qui en dit long sur le difficile accès des femmes au voyage et à l’exploration. »
« Les femmes seraient donc condamnées à voyager par procuration. C’est en tout cas ce que nous dit la conception classique de l’aventure. Avant tout, la femme est une épouse, une mère, une fille, une sɶur : elle est le prolongement d’un homme, son ombre ; un destin et une existence négligeables – il décide, elle adhère. Pour Beauvoir, c’est « faute d’avoir une prise sur le monde » que la femme est condamnée à attendre et à se contenter d’imaginer sa vie. »
Résumé
Pendant qu’Ulysse parcourt le monde et enchaîne les exploits, Pénélope demeure immobile, supporte l’attente, tisse et détisse son ouvrage, restant au passage fidèle à son époux. Quand l’homme part, la femme attend son retour. Les femmes étant historiquement des êtres captifs, le voyage est l’un des moyens les plus symboliques pour qu’elles s’affranchissent de leur condition : voyager est toujours pour la femme un acte fondateur ; c’est dire « je vais où je veux, je ne suis qu’à moi ». S’inspirant des histoires vraies de la littérature de voyage et de son expérience personnelle (dix ans d’arrivées et de départs), l’auteure évoque les territoires érotisés (comme le harem), dénonce la vision masculine de l’aventure et s’intéresse à la tension entre voyage et maternité. Lucie Azema le constate : il faut être libre « de » voyager et être libre « pour » voyager. Les femmes aussi sont du voyage s’adresse aux femmes qui sont déjà parties et à celles qui n’oseraient pas encore.
Le mot de la lectrice
Je ne m’étais jamais questionnée sur ce sujet : le patriarcat et l’invisibilisation des femmes à l’échelle du voyage. Et avant de lire l’essai engagé de Lucie Azema, je ne savais pas à quel point j’en avais besoin.
Ce livre a levé un voile sur tout un pan du patriarcat auquel je n’avais pas réfléchi — mais aussi sur tous les biais inconscients que j’ai intégrés sans m’en rendre compte. Déconstruire la vision masculine de l’aventure m’a fait beaucoup de bien, c’est une lecture nécessaire et importante pour toutes les femmes.
« Voyager, pour une femme, c’est une mise à feu – de toutes les interdictions, de toutes les injonctions. C’est dire “Je veux aller là-bas, et vouloir me suffit, personne ne m’en empêchera.” La liberté ne se demande pas poliment, elle se prend. »
Pourquoi il faut lire ce livre :
- C’est un manuel de défense pour contrer l’invisibilisation des femmes dans le domaine du voyage et de l’aventure
- On découvre des voyageuses effacées par l’histoire, comme Alexandra David-Néel, Nellie Bly ou Gloria Steinem
- On s’investit d’un reconquête du voyage et de l’aventure par et pour les femmes
- On réfléchit à la notion de peur, centrale pour toutes les femmes qui voyagent seules, et on se rend compte d’à quel point ce schéma qui nous enferme se décline aussi dans nos vies quotidiennes au nom de notre sécurité
- On remet en question les liens entre voyage et colonisation, une vision d’homme blanc finalement peu ouvert au monde qui l’entoure malgré ses vagabondages
- L’ouvrage est très bien documenté et redirige vers de multiples autres lectures pour creuser le sujet encore plus en profondeur
Une citation à retenir
« En ce sens, le voyage est aussi une expérience de l’humilité : refuser d’être dominée, c’est refuser de dominer. C’est instaurer un rapport d’être égal à égal avec le monde, une harmonie partagée, un équilibre entre l’être humain et la nature, entre l’être humain et le reste du vivant, dans une logique de co-habitation, de co-évolution. »