[À lire] « Sois jeune et tais-toi » par Salomé Saqué

par Mélody Barabé pour Le Hub Nomade

Publié le 30 mai 2023 à 09h19

Le premier livre de la journaliste Salomé Saqué est une bouffée d’air qui vient dépoussiérer la perception de la jeunesse dans la société actuelle. Les préjugés sont tenaces face aux jeunes : ils n’auraient pas envie de travailler, seraient inutilement anxieux et profondément égoïstes. Il semble que ce point de vue se soit répandu comme une trainée de poudre dans notre société, jusqu’à devenir une vérité générale pour beaucoup d’entre nous. Je dis “nous” parce qu’à 35 ans (pourtant pas si vieille) je me suis parfois surprise à avoir ce genre de pensées, moi aussi. Cette lecture m’a définitivement vaccinée contre cette intolérance naissante envers la génération qui fera le monde de demain.

« La jeunesse pâtit donc d’une image plutôt négative, conséquence de l’incapacité de nombreux journalistes de comprendre le fonctionnement et les enjeux de cette génération qui, par ailleurs, est largement sous-représentée dans l’espace médiatique. »

C’est de là que part tout le problème : sous-représentée dans l’espace médiatique et donc incomprise, les modes de pensée de la jeunesse sont finalement peu accessibles à ceux d’entre nous qui ne sont plus “des jeunes”. La volonté de Salomé Saqué de remettre les problématiques de la jeunesse au cœur du débat est donc essentielle — et rien que pour recréer du lien avec cette réalité, la lecture vaut le coup.

Les premiers chapitres dressent un constat des conditions de vie des jeunes aujourd’hui : le chômage et la précarité, les grandes inégalités dès l’école, le manque de considération du gouvernement pour leurs problématiques, et les échappatoires déviantes qui se mettent en place face à un système qui ne répond plus à leurs besoins.

C’est passionnant et extrêmement bien documenté, mais jusque là, je l’envisage comme un travail journalistique qui ne me touche pas davantage que par sa qualité.

Dans la seconde partie de son livre, Salomé Saqué interroge le rapport des jeunes au pessimisme et à l’anxiété : comment s’inscrit la dégradation de la planète dans leur perception de l’avenir, comment absorbent-ils l’information anxiogène qui leur parvient de tous les côtés sans filtres, et comment envisagent-ils leur rapport à la politique dans une société qui ne leur accorde aucun intérêt.

Cette seconde partie (”Sois jeune et ne t’en fais pas”) m’a retournée : âgée de 35 ans, j’ai grandi comme ceux qu’on appelle “la génération attentats”, c’est à dire avec un sentiment latent mais bien intégré que des drames inattendus m’attendent à chaque coin de rue.

Mais par ailleurs, je n’ai réellement commencé à m’interroger sur l’état de notre planète que depuis trois ans — là où la génération de dix à vingt ans plus jeune que moi a grandi dans un flux constant d’informations liées au réchauffement climatique, et à la potentielle fin du monde tel qu’on le connaît.

À mon échelle, je n’ai aucun moyen de percevoir à quel point cette angoisse peut impacter la construction d’une personne — mais j’imagine bien que ce n’est pas simple.

Et cette prise de conscience m’a instantanément réconciliée avec la jeunesse, pour laquelle je pouvais parfois faire des raccourcis dans l’image que j’en avais.

« Car une chose est certaine : quand bien même la jeunesse voudrait “s’en foutre”, elle ne le pourrait plus, car la mutation de l’information entraîne une mobilisation constante de l’attention sur les faits anxiogènes de l’actualité. Et ceci change considérablement la donne dans le rapport de la jeunesse au monde et à l’avenir. »

C’est avec une nouvelle empathie pour la jeunesse que j’ai commencé la troisième partie du livre : “Sois jeune et lève-toi”.

Salomé Saqué y parle des différentes (et nouvelles) formes d’engagement citoyen portées par la jeunesse, qui font office de soleil à l’horizon dans un monde qu’on pourrait croire condamné.

« La réussite exceptionnelle de ce type d’évènement (ndlr : le Z Event) constitue une objection de plus à l’idée reçue selon laquelle les jeunes sont égoïstes. Je pense plutôt qu’ils ont simplement besoin de modes d’action qui leur ressemblent et leur donnent le sentiment que leur engagement a un impact. »

Non seulement les jeunes sont conscients et impliqués, mais ils sont également capables d’inventer des leviers d’action extrêmement forts (même si ces leviers échappent à la compréhension des plus âgés).

Après avoir déconstruit toutes les idées reçues sur la jeunesse actuelle, Salomé Saqué appelle à une réconciliation entre les générations. Arrivée à la fin du livre, je suis convaincue par le propos : cette réconciliation est essentielle pour l’avenir — c’est ensemble qu’on avancera, les solutions sont possibles et nombreuses.

Résumé

Changer de regard sur la jeunesse. Les jeunes seraient « paresseux », « incultes », voire « égoïstes et individualistes ». J’ai entendu mille fois ces accusations à l’égard de la jeunesse : dans des dîners de famille, à la volée chez un commerçant ou portées par des éditorialistes remontés à la télévision. Ces jugements négatifs sont non seulement infondés, mais aussi délétères pour toute la société. Entre le chômage, la dégradation de la situation économique, la pandémie et l’urgence écologique, les jeunes doivent composer avec des paramètres inédits. De plus, les défauts qu’on leur prête sont souvent le symptôme d’une profonde incompréhension – d’un désintérêt ? – pour leurs préoccupations et leurs pratiques. De fait, que ce soit en entreprise, en politique ou dans les médias, les jeunes ont rarement voix au chapitre. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu leur donner la parole, dans cette enquête afin de raconter les difficultés auxquelles ils font face et de montrer les solutions qu’ils proposent pour garder espoir en l’avenir. Car une chose est certaine : les jeunes ne correspondent pas aux clichés qui leur collent à la peau. Il est plus qu’urgent de changer de regard sur la jeunesse : la solidarité intergénérationnelle est indispensable pour faire face aux bouleversements qui nous menacent tous.

Pourquoi on a aimé ce livre

  • C’est une mise en lumière d’une génération trop souvent oubliée alors que c’est elle qui construit le monde de demain
  • À la différence de beaucoup d’ouvrages dont les auteurs condamnent la jeunesse sans avoir jamais discuté avec un seul jeune, Salomé Saqué a fait un remarquable travail journalistique dans tous les milieux sociaux
  • On touche à la réalité du monde dans ce qu’il a de plus dérangeant sans pour autant tomber dans le pathos
  • Si notre fenêtre ouverte sur le monde est parfois étroite, on prend énormément de recul sur nos croyances personnelles grâce à cette lecture

Un citation à retenir

« Je veux donner du courage aux jeunes pour l’avenir qui s’annonce rude, mais aussi amener les générations qui nous critiquent à changer de regard sur la jeunesse, à leur faire entendre que les difficultés que nous rencontrons sont inédites, que les causes que certains d’entre nous défendent ne sont pas infondées, et enfin que nous avons besoin de leur aide pour prévenir au maximum puis affronter les bouleversements à venir. »

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