[Talks] Léa Niang : la communication inclusive, mode d’emploi
Freelance en marketing digital depuis 2019, Léa a décidé de faire coïncider carrière et convictions en se spécialisant en communication inclusive. Concrètement, elle aide les marques et les freelances à rendre leur communication digitale plus inclusive. Alors qu’y a-t-il derrière ce concept qui fait couler beaucoup d’encre ? Pourquoi est-ce important d’y être sensible et pourquoi, en tant que marque, il est essentiel de s’y mettre : Léa nous dit tout dans cette interview sans filtre !
Peux-tu te présenter et nous expliquer comment tu en es venue à te spécialiser dans ce domaine très nouveau qu’est la communication inclusive ?
Je m’appelle Léa, j’ai 28 ans, je vis à Hossegor et je suis freelance en marketing digital depuis 2019. J’ai commencé en tant que Social Media Manager, puis en 2020, j’ai décidé de me spécialiser dans communication inclusive, ressentant de plus en plus fortement le besoin de lier mon activité professionnelle à mes convictions personnelles. Je suis militante depuis longtemps, mais je n’arrivais pas à exprimer mes valeurs au quotidien et cela me posait vraiment problème dans mon travail. Par exemple, certains clients refusaient l’utilisation de l’écriture inclusive ou ne voyaient pas l’intérêt de mettre de la diversité dans leurs supports. Cela rentrait trop en conflit avec ce en quoi je crois personnellement, je finissais par ne pas assumer mes opinions et cela me mettais en porte-à-faux vis-à-vis de moi-même. Aujourd’hui, c’est complètement assumé et je me sens beaucoup plus en phase avec ce que je suis !
Qui sont les clients que tu cibles désormais ?
En France, on est un peu jeunes sur le sujet. Ces thématiques de communication inclusive viennent des Etats-Unis qui sont beaucoup plus avancés que nous en termes de débat sur les questions de justice sociale, de représentation, de droits… En France, on a un peu tendance à mettre la tête dans le sable et on voit bien que dès que des militants évoquent ces sujets-là, les premières réactions sont des levées de bouclier. Il y a un refus du débat et on n’arrive pas à avancer. C’est en train de changer grâce à notre génération qui est plus alerte et surtout à celle qui arrive derrière nous et qui en fait sa raison d’être. Les jeunes y croient et ils sont là pour ça, j’ai hâte de voir ce que cela va donner !
Tout cela pour dire qu’il est compliqué d’avoir une approche très large côté clients, alors je travaille surtout avec des start-ups assez jeunes, des créateurs audacieux qui ont une vision à la base et qui arrivent à intégrer l’inclusion dans le développement de leur entreprise et la construction de leur marque. A termes, j’espère quand même pouvoir échanger avec des gens freinés par ces idées pour véritablement faire bouger les choses.
Tu parlais de l’écriture inclusive, est-ce le premier truc à faire quand on veut être plus inclusif ?
C’est un bon premier pas en effet ! C’est assez facile à mettre en place et c’est une habitude rapide à prendre. Pour moi, cela positionne une marque comme consciente des enjeux de 2021 et qui montre volontairement qu’elle prend parti. Cela peut sembler un truc minuscule mais, en vérité, cela montre une volonté en tant que marque de prendre part au débat, de se questionner, de s’interroger, de se renseigner et d’être dans une volonté de faire mieux. Et pour moi, personnellement, c’est un indice qu’une marque est digne de confiance.
Mais la communication inclusive va plus loin, alors comment accompagnes-tu tes clients sur ce chemin peu balisé ?
Je pars toujours d’un audit de l’écrit, des visuels, bref, de tous les terrains d’expression de la marque. J’accorde beaucoup d’importance à la question de la représentation, et notamment celle des groupes sociaux et des communautés habituellement minorisées. Mon objectif est d’accompagner mes clients à représenter plus et mieux, sans stéréotypes. Donc je pars d’une photo d’ensemble à l’instant T pour voir ce qui est bien fait ou mal fait. Je crois beaucoup à la pédagogie, et je prends le temps d’expliquer pourquoi ce mot-là ou cette photo-là est problématique. Je ne suis pas dans « faites-ci » « faites-ça » : j’aide à prendre conscience des problématiques de fond pour créer des réflexes plus vertueux.
Et justement, comment faire la part des choses entre représentativité et stéréotypes ?
Déjà, on arrête de réfléchir en termes de quotas. C’est sur cette base que l’on a instauré la représentativité en France, et souvent on pense qu’il suffit d’intégrer un·e noir·e, un·e asiatique et une personne en situation de handicap dans une campagne pour se dire qu’on est inclusif. Mais ce n’est pas que de ça qu’il s’agit ! Le problème passe aussi par la manière dont on représente les minorités, il faut toujours se demander si cela correspond à la réalité et si, d’une manière ou d’une autre, cela ne leur porte pas préjudice.
Par exemple, la semaine dernière, je suis tombée sur une pub Facebook pour des soins pour les ongles de pieds. La photo représentait une femme en mini-jupe dénudée… Ça, c’est une représentation malvenue, qui contribue à des stéréotypes misogynes et cela participe à un sexisme ambiant. D’autres stéréotypes sont tout aussi vicieux : utiliser des photos de personnes noires avec des mimiques ou des réactions très extravagantes participe à renforcer l’idée reçue selon laquelle les femmes noires sont souvent en colère, et cela s’inscrit dans une culture raciste. Les stéréotypes se cachent dans les détails et ils sont partout.
C’est un exercice compliqué de se challenger sur ces questions-là, d’autant qu’il y a beaucoup d’entre-soi dans le milieu du marketing et peu de représentativité…
En effet, et je suis convaincue que l’inclusivité dans le marketing digital ne pourra pas venir d’autre part que de la diversité dans les équipes. En attendant de faire changer les choses au niveau RH et de former des gens aux backgrounds différents, qui sont uniques, authentiques et à même d’apporter leur « input » personnel, c’est de notre responsabilité, en tant que personnes qui sommes dans la norme de faire notre possible pour représenter au mieux les autres points de vue. C’est d’autant plus le cas pour nous, les freelances qui voyageons, car nous avons une ouverture particulière sur le monde et sur des cultures différentes. C’est notre responsabilité de faire mieux.
Alors justement, comment nous outiller pour faire mieux ?
La première chose à faire, c’est de se renseigner auprès des personnes concernées. Comme c’est un peu dur de s’attaquer à tous les sujets en même temps, alors on a tout à fait le droit d’avoir un sujet de prédilection : le féminisme, l’anti-racisme, les questions de genre ou relatives à l’homophobie… Il faut commencer quelque part et s’informer, via des comptes Instagram, des livres, des chaînes Youtube, des podcasts par exemple… il y a tellement de ressources partout, faciles à consommer aujourd’hui. Le mieux, ce sont les « snack contents » ou contenus courts qui permettent d’apprendre sans s’en rendre compte, un peu tous les jours.
En parlant de ressources, tu as lancé la newsletter « Visibles » dédiée à la communication inclusive. Pourquoi cette décision ?
« Visibles » répond à plusieurs objectifs. C’est évidemment un outil de « personal branding » qui vise à montrer que je sais de quoi je parle. Mais c’est aussi un moyen de sensibiliser ma communauté, mes prospects et mes clients. Je crois sincèrement qu’il est quasiment impossible d’avoir une démarche inclusive et authentique si on ne comprend pas le pourquoi du comment, et la meilleure façon pour cela, c’est de regarder autour de nous et de déchiffrer les actualités qui ont un rapport avec ces sujets-là. J’évoque beaucoup les normes de genre, l’appropriation culturelle, l’égalité femmes/hommes, la représentation, et je fais pas mal de recommandations de ressources.
Tout cela dans l’idée que se renseigner et se déconstruire ne doit pas être pénible, long et laborieux mais au contraire quelque chose d’agréable et facilement intégrable dans le quotidien. La base de « Visibles », c’est vraiment ça : comprendre les enjeux de l’inclusivité, jusqu’à ce que ça devienne une évidence qu’il faille l’intégrer dans son business.
La newsletter a-t-elle été bien accueillie ?
Les premiers retours sont très bons et cela fait très plaisir ! On me dit notamment que j’arrive à expliquer des concepts compliqués de manière simple. Cela me touche car c’était vraiment mon but. J’ai aussi des retours de personnes qui ne sont pas forcément intéressées par ces sujets à la base, et ça, c’est « priceless ». J’ai pour ambition de toucher le plus de monde possible, et pas uniquement les personnes qui travaillent dans la communication.
Mon crédo : les grands changements commencent à petite échelle et on a tous notre rôle à jouer, ne serait-ce que par une petite discussion de temps en temps, par le fait de prendre le temps de regarder un film, de lire un mail ou de rappeler quelqu’un à l’ordre.
Une question un peu plus perso : as-tu toujours été sensible à ces sujets ou est-ce lié aux évènements récents ?
J’ai toujours été féministe et globalement très animée par ces sujets-là. Je viens d’une famille métis, aussi j’ai toujours eu un grand intérêt pour les luttes anti-racistes. Et puis, au fur et à mesure de m’intéresser au féminisme, des raccords évidents se sont faits avec les luttes antiracistes et les droits LGBT.
C’est progressivement devenu un grand combat mais c’est clairement dans mes os, dans mon sang, et je ne peux plus faire sans. C’est beaucoup trop frustrant d’en faire abstraction.
On peut donc parler d’alignement pour toi désormais ! Qu’est-ce que ça a changé dans ton quotidien ?
Pour commencer, j’ai envie de me lever le matin, alors qu’avant, je n’y arrivais pas. Mais rien que pour le respect de soi-même, être aligné, c’est primordial. Cela donne un sens à la vie. Au-delà de ça, je pense que les meilleurs professionnels sont ceux qui sont passionnés, et pour le coup, je suis intarissable sur les sujets autour du féminisme. J’aurai toujours des choses à dire ou même, je l’espère, à apprendre aux autres.
Je pense que c’est fondamental d’être en accord avec soi-même. J’ai beaucoup travaillé sur moi aussi pour savoir où je voulais aller. A la base, c’est parti d’un besoin de me recentrer et naturellement, ça s’est imposé.
Quels conseils donnerais-tu aux personnes qui sont dans la « norme » pour devenir des alliés de ces causes que tu défends ?
Je dirais qu’il faut se lancer dans la démarche de manière volontaire, et que la première étape c’est de faire le point pour comprendre en quoi on est privilégié. On a tous des privilèges différents. Par exemple, moi, je suis d’apparence blanche, valide, je viens d’un milieu aisé et je correspond aux normes de beauté. Cela me donne une place de privilégiée. On doit tou·te·s comprendre que plein de gens ne partagent pas ces privilèges et ont une expérience différente de la vie et du monde.
Ensuite, il faut se renseigner, intégrer les ressources dans son quotidien : Instagram, Podcasts, films, Netflix… c’est assez accessible.
Et enfin, un truc qui a été un peu difficile pour moi mais qui m’a beaucoup challengée et qu’on devrait tou·te·s faire, c’est faire attention à son langage, en devenant plus inclusif·ve. Plein d’expressions sont problématiques, et un paquet d’insultes sont totalement inappropriées et stigmatisantes. Par exemple, l’expression « sois un homme » participe à une masculinité toxique. « Don’t be a pussy » en anglais, c’est une rhétorique homophobe qu’on a tellement intégrée et qu’on ne la perçoit plus comme homophobe ou sexiste. Pourtant, cela participe à la création d’une oppression collective. C’est dur parce qu’on a grandi avec ça, mais en prendre conscience est déjà une première étape. Ensuite, il y a toutes les blagues racistes…
Justement, en France, les blagues racistes, sexistes, etc. sont beaucoup justifiées par l’humour et la liberté d’expression. Qu’en penses-tu ?
Je fais partie de la team « on ne peut pas rire de tout ». Quand je suis face à des gens qui dépassent clairement les bornes, je réagis systématiquement. Le militantisme m’anime tellement que je ne peux pas enlever mes lunettes, même quand on est dans une soirée entre potes et que l’ambiance est censée être détendue.
Alors bien sûr, il y a des moments où il faut savoir mettre de l’eau dans son vin, ne pas être constamment dans l’attaque, mais c’est difficile de rencontrer les autres à mi-chemin quand tu sais que des gens meurent de ces oppressions. Ce n’est pas juste un petit caprice de militant·e. Mais il est clair que la liberté d’expression est un gros sujet…
Autre question personnelle : quand on est aussi militante, est-il important de vivre dans un lieu « inclusif », auprès d’une communauté consciente ?
C’est une très bonne question. Hossegor, où je vis, est un endroit très privilégié, très blanc et très bourgeois, où il y a très peu de diversité. J’ai l’impression que les personnes non blanches sont un peu dévisagées par ici. On a abordé une fois le sujet du féminisme sur un groupe Facebook public et les réactions ont été assez violentes de la part des hommes locaux. C’est aussi un lieu marqué par la culture du surf qui est assez sexiste à la base… C’est vraiment complètement différent des grandes villes. A Paris ou à Bordeaux, il y a des associations, des manifestations, des expositions, une scène culturelle plus diverse… C’est aussi pour ça que j’avais quitté l’Indonésie. Je n’y trouvais aucun endroit où je pouvais vivre ces convictions et les nourrir. Et là effectivement la question va se poser à un moment ou à un autre également.
Quand on est militant, on a besoin de se retrouver avec d’autres gens convaincus. J’ai besoin de discuter avec des féministes, d’autres femmes qui luttent contre l’oppression patriarcales, d’avoir des « safe places » pour m’exprimer sur ces sujets-là, de rencontrer une émulation et de pouvoir compter sur une communauté auprès de laquelle reprendre des forces car la fatigue militante est réelle. Parfois, c’est difficile de rester motivée et c’est là que le groupe est important.
Merci beaucoup Léa pour ce partage sincère, authentique et honnête !
Vous pouvez retrouver Léa dans sa newsletter Visibles et sur Instagram @leaaniang – Et pour travailler avec Léa, 2 formules :
– de la formation auprès des équipes, des managers, des freelances sur ces thématiques d’inclusivité, sous forme de workshops ou de conférences
– un accompagnement de consulting stratégique sur la communication en tant que telle.